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Le fondateur du New York Times : Adolph Simon Ochs un innovateur qui a transformé l'économie
Depuis plus d'un siècle, ses descendants dirigent le « New York Times ».
Fondateur de l'une des dynasties de presse les plus réputées de la
planète, Adolph Simon Ochs est aussi l'un des créateurs de la « grande »
presse moderne.
Depuis quatre générations, la famille Ochs-Sulzberger règne sur le « New
York Times », un groupe qui réalise aujourd'hui 3,3 milliards de
dollars de chiffre d'affaires. Outre le prestigieux « New York Times »,
ce véritable empire de presse comprend 16 journaux - dont l'«
International Herald Tribune » et le « Boston Globe » -, 8 chaînes de
télévision, 2 stations de radio et 40 sites Internet. Crises, guerres,
conflits familiaux, scandales... Depuis 1896, les Ochs-Sulzberger ont
tout surmonté, même l'affaire qui impliqua en 2003 un des reporters du
journal, Jayson Blair, auteur de plusieurs reportages créés de toutes
pièces. Un comble pour un titre réputé pour son sérieux ! « J'ai le
coeur brisé », avoua à cette occasion Arthur Ochs-Sulzberger, contraint
de se séparer de
son rédacteur en chef. Un temps ébranlé, le pouvoir de la famille s'est renforcé depuis, notamment avec l'entrée au conseil d'administration de Lynn G. Dolnick, descendante directe d'Adolph Simon Ochs.
son rédacteur en chef. Un temps ébranlé, le pouvoir de la famille s'est renforcé depuis, notamment avec l'entrée au conseil d'administration de Lynn G. Dolnick, descendante directe d'Adolph Simon Ochs.
es Ochs-Sulzberger, c'est l'alliance
de deux familles. Une alliance voulue par Adolph Ochs et dont la pièce
essentielle fut sa fille unique, Iphigénie, disparue en 1990 à l'âge de
quatre-vingt-dix-sept ans. En choisissant le mari de cette dernière,
Arthur Sulzberger, pour successeur, de préférence à l'un de ses neveux,
Adolph Simon Ochs contribua à ancrer le pouvoir de la famille sur le «
New York Times », permettant l'épanouissement de ce qui est encore
aujourd'hui l'une des principales dynasties de presse de la planète.
Crieur de journaux à onze ans, apprenti imprimeur à quatorze ans,
fondateur de son propre titre à vingt ans, propriétaire du « New York
Times » à trente-huit ans... Adolph Simon Ochs baigna toute sa vie dans
l'univers de la presse, y apportant une rigueur et un souci de la
qualité qui devaient marquer durablement la profession. Rien pourtant ne
destinait ce fils de rabbin à devenir l'une des grandes figures de la
presse. Né en 1858 à Cincinnati, dans l'Ohio, originaire d'une famille
juive de Bavière installée aux Etats-Unis depuis une dizaine d'années,
Adolph Simon Ochs est contraint de travailler tôt. Après avoir été
directeur d'école, vendeur de montres et employé de commerce, son père
Julius a ouvert une petite épicerie tout en faisant office de rabbin
pour la communauté juive de la ville. La faillite de son affaire, en
1864, le contraint à déménager à Knoxville, dans le Tennessee. Après
avoir servi dans un régiment de l'armée fédérale en pleine guerre de
Sécession, il se relance dans l'épicerie.
Las ! En 1867, nouvelle faillite. Ruiné, Julius n'a d'autre choix que
de mettre ses enfants au travail.
Adolph Simon a alors onze ans. Embauché comme crieur et livreur de
journaux à 1,50 dollar par semaine par le « Knoxville Chronicle », il se
lève tous les matins à 4 heures, travaille de 5 à 7 avant de prendre le
chemin de l'école. Il fait son chemin au journal, quittant la rue pour
les bureaux, puis les bureaux pour l'imprimerie. Apprenti imprimeur à
quatorze ans, il apprend sur le tas les bases du métier, et notamment
l'importance de la qualité d'impression. « Si un journal est mal
imprimé, l'information, même la plus sensationnelle, est perdue », ne
cessera-t-il de marteler une fois devenu patron du « New York Times ».
Au journal, on apprécie ce jeune garçon débordant d'énergie et qui a le
métier dans le sang. Lui veut suivre la voie royale : devenir
journaliste ! Il s'y essaie en 1875 en se faisant embaucher comme
reporter au « Courier-Journal de Louisville ». L'expérience n'est guère
couronnée de succès. Dès l'année suivante, Adolph est de retour à
Knoxville.
Le futur patron de presse ne sera jamais très à l'aise avec la plume.
A Knoxville, deux hommes ont entendu parler du jeune Ochs : le «
colonel » McGowan et Franc Paul, fondateurs du « Knoxville Tribune »,
concurrent du « Chronicle ». Ils veulent lancer un journal dans la ville
voisine de Chattanooga. Adolphe est embarqué dans l'aventure, avec le
titre de directeur de la publicité. En fait, il s'occupe de tout, à
l'exception des finances. Hélas pour lui, six mois plus tard, le titre
doit fermer ses portes, écrasé par une montagne de dettes. Cette
expérience va lui servir de détonateur. Dans cette ville en pleine
croissance qu'est alors Chattanooga, il manque un journal de référence.
Ce journal, Ochs veut le créer. Il mettra six mois pour trouver
l'argent. Les quelques milliers de dollars réunis lui permettent de
racheter, en 1878, le « Chattanooga Daily Times », moribond. A vingt
ans, Ochs est patron de presse !
Le « Chattanooga Daily Times » va faire sa première fortune avant
de manquer de l'entraîner dans la ruine. Apolitique, dédié aux intérêts
de la cité, géré avec rigueur, faisant une large place à la publicité,
le journal voit son tirage et ses ventes vite augmenter. La vie d'Adolph
prend dès lors un tour nouveau. Désormais à la tête d'une petite
fortune, cet amateur de femmes - il le restera toute sa vie - se marie
en 1883 et emménage dans une belle maison du centre-ville. Enhardi par
ses succès, il se lance dans les spéculations immobilières, faisant
édifier un immeuble de cinq étages pour son journal, acquérant des
terrains en ville et multipliant les projets de lotissement. La crise
économique de 1893 aura raison de sa carrière de promoteur. Au début des
années 1890, Adolph a perdu 500.000 dollars. Surendetté, il doit, pour
échapper à la banqueroute personnelle, hypothéquer l'immeuble qui abrite
le « Chattanooga Times ».
Comment sortir de ce mauvais pas ? En acquérant un nouveau journal !
L'idée d'Ochs est simple : l'achat d'un titre lui permettra de générer
des revenus grâce auxquels il pourra racheter son hypothèque. Reste à
trouver la proie. Adolph jette son dévolu sur New York. La ville abrite
déjà un grand nombre de quotidiens comme le « World », l'« Herald », le «
Sun », qui se livrent une concurrence féroce. Incendies, meurtres,
explosions... Même les titres de qualité n'hésitent pas à faire leur «
une » sur les faits divers sordides. Bon observateur de la profession,
Ochs s'est fait une religion : dans cette ville bigarrée devenue le
grand centre économique des Etats-Unis, il manque un journal sérieux
proposant une information objective et de qualité. Cette intuition va
faire le succès du « New York Times ». Après plusieurs contacts
infructueux, Adolph apprend que ce dernier est à vendre. Fondé en 1851,
proche des républicains, le journal avait une réputation flatteuse venue
de ses reportages sur
la guerre de Sécession. A la mort de son cofondateur, en 1891, il
avait décliné. Au milieu des années 1890, le titre perd 1.000 dollars
par jour. Empruntant partout où il le peut, notamment à des proches du
Parti démocrate, hypothéquant tout ce qui lui reste, y compris le «
Chattanooga Times », Ochs le rachète en 1896 pour 75.000 dollars.
D'un journal en perdition dont le tirage a dégringolé à moins de
20.000 exemplaires, Adolph Simon Ochs va en faire le quotidien de
référence des Etats-Unis, tirant à 230.000 exemplaires en 1914 et à plus
de 350.000 exemplaires au début des années 1920. Les recettes de ce
succès ? D'abord une approche rigoureuse et impartiale de l'information.
Le « New York Times » ne publiera que des nouvelles dûment vérifiées
avec le souci constant de l'objectivité. Une approche résumée dans le
célèbre slogan du journal, « Toutes les nouvelles dignes d'être publiées
», créé par Ochs lui-même en 1896. En second lieu, le refus
systématique du sensationnel, de l'anecdotique ou de l'accessoire, à
l'image des bandes dessinées bannies du journal. En troisième lieu,
l'ouverture des colonnes à de nouveaux sujets jusque-là délaissés par la
concurrence. Le « New York Times » est ainsi le premier journal
américain à s'intéresser au monde des affaires et à publier chaque jour
les cours de Bourse.
Il est également le premier à sortir un supplément hebdomadaire
consacré aux livres et aux arts puis un magazine illustré. D'autres
suppléments suivent dans les années 1920, consacrés aux sciences, aux
loisirs et à la maison, accentuant le positionnement élitiste du titre.
Enfin, Adolph Simon Ochs accorde une attention particulière à la
publicité qui fait l'objet d'une sélection impitoyable. En 1901, il
établit ainsi une liste des « publicités interdites ». Elle comprend les
réclames pour les concours de mots croisés, les livres immoraux, les
voyants, les médecines miracles, les offres de gros salaires et les
promesses de dividendes garantis. Dans les colonnes du journal, toute
référence à la santé des individus est en outre interdite. Autant de
choix qui font la réputation de sérieux du titre et attirent de nouveaux
lecteurs. Vendu 1 cent à partir de 1897 - ce qui entraîne un triplement
de ses ventes -, le « New York Times » se distingue également très tôt
par la qualité de ses reportages : le jubilé de la reine Victoria en
1897, la couverture de la guerre russo-japonaise en 1904, l'exploration
du pôle Nord par Robert E. Peary en 1909 deviennent ainsi des modèles du
genre pour toute la profession. Dès le début du siècle, le « New York
Times » est devenu
une véritable institution. Lorsqu'il déménage en 1904 dans une tour
située Long Acre Square - la fameuse « Times Tower » -, la ville de New
York rebaptise l'endroit « Times Square ». Un signe qui ne trompe pas.
Le souci d'indépendance du journal lui vaudra de solides inimitiés
dans le monde politique, mais aussi des arts et des lettres. Plus tard,
en 1918, lorsque le journal publie les offres de paix de l'Autriche,
certains mettront violemment en cause son patriotisme. Des critiques qui
n'atteignent guère Adolph Simon Ochs. Unanimement respecté, menant une
vie discrète entre son appartement de New York et sa propriété
d'Hillandale - sa seule folie -, où il se rend quand son emploi du temps
le lui permet et où il reçoit beaucoup - notamment Franklin Roosevelt
et le vieux Buffalo Bill Cody -, ce dernier reste fidèle envers et
contre tout aux principes qu'il a établis en 1896, soutenant jusqu'au
bout les journalistes.
Au début des années 1920, le « New York Times » est devenu un petit
empire, constitué, outre du quotidien lui-même, de ses suppléments et
des éditions européennes, du « Philadelphia Times », du « Chattanooga
Times » et du « Nashville American ». Pour Adolph Simon Ochs, l'heure
est désormais venue de s'attaquer à une question délicate : sa
succession. Depuis des années, deux prétendants sont en lice : son neveu
Julius et son gendre, Arthur Sulzberger, qui a épousé sa fille unique,
Iphigénie, en 1917. Pendant des années, Ochs, qui a horreur des conflits
et que cette querelle plonge parfois dans de longues périodes de
dépression, évite de trancher. A la veille de sa mort, en 1935, il
laisse finalement à Iphigénie, sa principale héritière, le soin de
désigner son successeur, intronisant ainsi de facto Arthur Sulzberger.
Iphigénie imposera pour seule condition à son mari d'accoler son nom de
jeune fille à son propre patronyme. La dynastie des Ochs-Sulzberger
commençait ainsi sa longue histoire.
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