Cet article a été à l'origine publié sur epokhe
Rupert Murdoch
A partir d'un modeste journal australien, il a bâti l'un des premiers
groupes de médias au monde. A soixante-quatorze ans, le très controversé
Rupert Murdoch règne toujours sur News Corporation. Un conglomérat où
les « news » les plus vulgaires voisinent avec des titres de grande
qualité.
Il est arrivé. Ne sentez-vous rien ? Comme une odeur
de soufre...» Cette phrase, prononcée par un homme d'affaires
australien à l'occasion d'une visite express de Rupert Murdoch à Sydney,
en dit long. Depuis des années, le fondateur de News Corporation traîne
derrière lui une réputation sulfureuse. Celui que le « Time » américain
a caricaturé en King Kong grimpant le long de son Empire Building de
journaux est devenu à lui seul un
symbole : celui de la presse de caniveau et du journalisme à sensation. Honni par l'élite qui ne lui pardonne pas ses choix éditoriaux, son populisme agressif et ses prises de position politiques droitières, Rupert Murdoch est surtout un formidable entrepreneur. Créé au début des années 1950, News Corp. contrôle aujourd'hui, un peu partout dans le monde, 175 journaux, des dizaines de magazines, des maisons d'édition et des « networks » de première importance.
symbole : celui de la presse de caniveau et du journalisme à sensation. Honni par l'élite qui ne lui pardonne pas ses choix éditoriaux, son populisme agressif et ses prises de position politiques droitières, Rupert Murdoch est surtout un formidable entrepreneur. Créé au début des années 1950, News Corp. contrôle aujourd'hui, un peu partout dans le monde, 175 journaux, des dizaines de magazines, des maisons d'édition et des « networks » de première importance.
out a commencé avec l'« Adelaide News
», un modeste journal paraissant dans la ville australienne du même nom
et fondé jadis par son père. Journaliste brillant, Keith Murdoch était
l'un des principaux patrons de presse d'Australie et le conseiller
écouté de plusieurs Premiers ministres. A sa mort en 1952, il dirige des
dizaines de journaux dans tous les Etats d'Australie mais n'en possède
aucun, à l'exception de l'« Adelaide News ». Sentant sa mort venir, il a
en effet hypothéqué ses biens pour prendre le contrôle du titre et
pouvoir le transmettre à son fils Rupert. Lorsqu'il apprend la mort de
son père, il a vingt et un ans, de nombreux stages de journaliste
derrière lui et une folle envie de percer dans le métier. Quittant
l'université d'Oxford en Angleterre, où il poursuit ses études, il
rentre aussitôt en Australie pour prendre possession de son héritage.
Nous sommes en 1953.
A l'« Adelaide News », Rupert Murdoch fait l'effet d'une tornade.
Charmeur, drôle, capable de passer des heures à polir un article ou une
maquette mais d'une ambition forcenée que certains expliquent par une
volonté de dépasser son père, le jeune homme a vite compris que « pour
vendre plus de papier, il faut toucher les masses et que, pour toucher
les masses, il faut leur donner ce qu'elles veulent : du sensationnel ».
Cette idée sur laquelle l'homme d'affaires va bâtir son succès n'est
pas tout à fait neuve. Le premier à l'avoir eue est un Anglais, Alfred
Harmsworth, alias lord Northcliffe, qui a fondé un empire de presse dans
les années 1920 à partir d'un journal, « Answers », dont la une
traitait de sujets aussi détonnants que « Les chiens commettent-ils des
meurtres ? ». Sa philosophie - « donner au public ce qu'il désire » - a
été reprise par le « Daily Express », un journal où Rupert Murdoch a
fait un stage au début des années 1950.
Lorsqu'il prend les rênes de l'« Adelaide News », le « gamin
éditeur », comme on le surnomme dans le métier, a donc été à bonne
école. Il met aussitôt en pratique les recettes de ses glorieux
ancêtres. C'est à ce moment que naît le « journalisme à la Murdoch ».
Son fonds de commerce : des histoires montées en épingle, agrémentées de
citations parfois inventées, des nouvelles laconiques transformées en
récits sensationnels, des titres accrocheurs, incorrects d'un point de
vue grammatical mais à glacer le sang des lecteurs (« Un lépreux viole
une vierge »). Les résultats ne tardent pas : en trois ans, le tirage de
l'« Adelaide News » passe de 75.000 à 300.000 exemplaires !
Bientôt, le « News » a rapporté suffisamment d'argent pour
permettre à Murdoch de s'étendre. Les opportunités sont alors
nombreuses. Dans chaque ville d'Australie, il existe en effet plusieurs
journaux, la plupart mal en point et se livrant une concurrence féroce à
coups de suppléments ruineux et de scoops scabreux. La loi de la
jungle... Mais l'heure des regroupements a sonné. Murdoch va en être
l'un des principaux artisans. Dans les quinze ans qui suivent, il
rachète une vingtaine de titres qu'il transforme en tabloïds de presse
populaire. Seule exception : « The Australian », premier véritable
journal national australien, un titre de qualité créé en 1964 et que
l'homme d'affaires soutiendra en dépit de ses pertes. Pour le reste,
l'homme d'affaires n'hésite pas à surpayer des titres afin de ne pas
laisser la place à ses concurrents contre lesquels il mène une guerre
sans merci. Son meilleur atout est alors sa banque, la Commonwealth Bank
de Sydney qui lui restera fidèle des années et
dont il connaît les dirigeants. Un simple coup de fil suffit pour
obtenir une ligne de crédit de 150 millions de livres. A ce moment, les
banquiers ne lésinent pas sur les prêts.
Ayant acquis au milieu des années 1960 une position dominante en
Australie, Rupert Murdoch est mûr pour s'attaquer au reste du monde.
L'Angleterre, ce pays où il a fait ses études mais qu'il n'a jamais aimé
et dont il méprise les élites, lui offre un formidable terrain de
chasse. Regroupée dans le quartier londonien de Fleet Street, la presse
nationale, gérée à l'ancienne, croule sous les problèmes financiers.
Murdoch y fait une entrée fracassante en reprenant, en 1968, le « News
of the World ». La famille Carr, qui possédait cet hebdomadaire
populaire, avait appelé à la rescousse le magnat australien suite à une
menace de raid par Robert Maxwell. Fatale erreur ! Quelques mois
suffisent en effet à Murdoch pour pousser dehors le représentant de la
famille. L'année suivante, Murdoch reprend le « Sun ». Avec ses filles
nues en page deux et ses titres racoleurs, le titre devient rapidement
l'un des principaux tabloïds d'Angleterre et le fleuron de l'« empire
Murdoch ». Le « News of the World » et
le « Sun » serviront de point de départ à de nombreuses acquisitions
en Grande-Bretagne, notamment celle du prestigieux « Times ». Réalisée
en 1981, l'opération suscite une levée de boucliers parmi
l'establishment et provoque maintes démissions au sein de la rédaction.
Prudent, l'homme d'affaires australien se garde de bouleverser le
journal. Dans les années 1970, le « tycoon » des médias est parti à la
conquête du marché américain, rachetant des titres dans les principales
villes du pays et lançant avec succès un nouveau tabloïd vendu en
grandes surfaces, le « National Star ». En Australie, il a acheté
plusieurs stations de télévision et même 50 % de la principale compagnie
aérienne du pays, un placement juteux qui lui permet de financer ses
opérations. A l'aube des années 1980, le groupe de Murdoch, News Corp.,
contrôle près d'une soixantaine de journaux dans le monde. La suite sera
plus faste encore. Murdoch rachète la célèbre Twentieth Century Fox,
fusionnée avec la compagnie de télévision
Metromedia pour former le quatrième réseau américain de télévision, la
Fox Broadcasting. Il prend aussi pied en Asie en reprenant le principal
quotidien de Hong Kong, le « South Morning Post » et il se lance dans
la télévision par satellite en créant son propre réseau, Sky. Presse,
radio, télévision, édition : à la fin de la décennie, News Corp. est
devenu l'un des premiers groupes de médias au monde.
Surnommé le « fouille-merde », jouissant, notamment en Angleterre,
d'une réputation exécrable, son fondateur a beaucoup changé. Non pas
qu'il se soit adouci. Bien au contraire ! Connu pour la brutalité de ses
méthodes, il continue à surveiller de très près la vie de ses journaux,
n'hésitant pas, lors de ses visites express, à déchirer deux heures
avant le bouclage une maquette complète qu'il ne trouve pas assez
aguicheuse. Il se fait transmettre chaque semaine les chiffres de toutes
les sociétés qu'il contrôle - tirages, ventes, audiences. Un seul coup
d'oeil lui suffit pour identifier un foyer de pertes. Mais cet homme
qui, jadis, ne ménageait pas son soutien aux travaillistes australiens,
affiche à présent des opinions conservatrices tranchées. Ses modèles
s'appellent Ronald Reagan et Margaret Thatcher, dont il devient l'un des
plus chauds partisans. Jusqu'au dérapage, comme ce jour de 1982 où il
salue dans le « Sun » la destruction d'un navire argentin par la Royal
Air Force en pleine
guerre des Malouines par ce commentaire : « Dans le c... ».
Le « Sun » est de toutes les batailles menées par le Premier
ministre anglais, qui ne ménage pas en retour son soutien à Rupert
Murdoch. Elle le fait lors de l'épreuve de force qui oppose ce dernier
aux syndicats de presse en 1986. L'objet du conflit : l'immeuble
ultramoderne et doté des dernières techniques de composition et
d'impression que l'homme d'affaires a décidé d'édifier dans le quartier
des Docks de Londres. Il permet aux journalistes d'effectuer eux-mêmes
la composition de leurs articles, une tâche jusque-là réservée aux
ouvriers de l'imprimerie. Confronté à une grève dure, Murdoch passe en
force, avec la bénédiction des autorités. La quasi-totalité des
grévistes seront licenciés et le nouveau bâtiment inauguré, permettant
une baisse de près de 30 % du prix des journaux. L'affaire n'arrange pas
la réputation de Murdoch, même si ses idées font école.
Ce gigantesque conglomérat qu'est devenu News Corp., où les
tabloïds les plus vulgaires cohabitent avec des titres de grande
qualité, a cependant une faiblesse : son endettement. Depuis 1953,
Murdoch a construit son empire à coups de lignes de crédit, bénéficiant
du soutien indéfectible de ses banquiers. Mais qu'un coup de vent
survienne, et tout l'édifice risque de s'effondrer. C'est ce qui se
passe en 1990. Cette année-là, victime d'une conjoncture médiocre et des
pertes abyssales de son réseau Sky, News Corp. est incapable d'honorer
la dette faramineuse - 7,5 milliards de dollars - contractée auprès de
147 banques. La renégociation de la dette prend près d'une année et
manque d'échouer en raison de l'opposition d'une petite banque écossaise
engagée à hauteur de 10 millions de livres. « Rendez-nous notre argent
», se contente de répondre le président de l'établissement à Murdoch. Il
faut l'intervention du président de la banque centrale d'Angleterre
pour faire plier le récalcitrant.
Mais le prix à payer est lourd. Murdoch doit se délester de
quelques-uns de ses plus beaux fleurons, introduire en Bourse plusieurs
de ses sociétés et vendre une partie de ses actions.
Depuis la grande crise de 1990, Murdoch est largement revenu dans
le jeu, investissant massivement dans la télévision par satellite aux
Etats-Unis, s'intéressant également aux nouveaux marchés d'Europe de
l'Est et de Chine. En 2004, il a transféré le siège de News Corp.
d'Adélaïde à New York où il a acheté, pour 44 millions de dollars, un
somptueux appartement. Depuis son divorce en 1999, le « tycoon » vit
avec l'une de ses anciennes collaboratrices chinoises, de quarante ans
sa cadette, qui lui a donné deux enfants. S'il reste toujours très actif
au sein du groupe qu'il a fondé, Rupert Murdoch a commencé à passer la
main à deux de ses fils issus de son précédent mariage. L'un d'entre eux
vient de claquer la porte. A soixante-quatorze ans, le « fouille-merde »
n'a rien perdu de sa réputation.
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