Source capital.fr/
Dossier : les-50-plus-grands-patrons-de-l-histoire
Robert Woodruff (1889-1985), Coca-Cola : l’homme qui a transformé une petite bouteille de soda d’Atlanta en star internationale
La chromatographie a fait tant de progrès que la composition du
Coca-Cola – longtemps tenue secrète – est désormais connue. En revanche,
bien que mille fois analysé, le succès phénoménal de ce mélange d’eau
gazéifiée, de sucre, d’acide phosphorique, d’extraits végétaux et
d’autres ingrédients reste un mystère. Plus de 1,5 milliard de
bouteilles vendues chaque jour ! On croit rêver.
Le premier surpris serait John Pemberton, pharmacien à Atlanta, qui, en
1885, lance une mixture à base de noix de cola et de feuilles de coca.
Coup de chance : un référendum local interdit alors la vente d’alcool.
C’est la ruée sur ce soda au goût étrange, plus tonique qu’une banale
orangeade. Pemberton enregistre la marque Coca-Cola, mais, naïf, il
brade en 1888 son affaire à un financier. Asa Griggs Candler crée la
Coca-Cola Company en 1892 et décide de conquérir les Etats-Unis.
L’entreprise change de siècle sans cesser de grandir, mais, au lendemain
de la Grande Guerre, des difficultés apparaissent. Elle est cédée en
1919 à
un consortium d’investisseurs présidé par un riche industriel, Ernest Woodruff, à charge pour lui de trouver le patron. Mais qui ? Certainement pas Robert, son fils aîné, un paresseux avec lequel il ne s’entend pas. Mais la vie réserve des surprises…
un consortium d’investisseurs présidé par un riche industriel, Ernest Woodruff, à charge pour lui de trouver le patron. Mais qui ? Certainement pas Robert, son fils aîné, un paresseux avec lequel il ne s’entend pas. Mais la vie réserve des surprises…
Education spartiate. Robert est né en 1889 dans une belle demeure
d’Atlanta. Son père y fait régner une ambiance pesante et lui impose
une éducation spartiate. Ni distractions, ni argent de poche. A 16 ans,
renvoyé de son lycée, il se retrouve dans une institution privée, la
Georgia Military Academy (GMA).
C’est la première fois qu’il s’épanouit à l’école. Comme son appareil
dentaire l’empêche de faire du sport, il gère l’équipe de football, le
journal de classe et le club de théâtre. Les ennuis financiers de la GMA
lui donnent même l’occasion de faire un coup d’éclat : il débarque dans
la banque de l’école pour négocier un emprunt et, désespérant d’avoir
gain de cause, finit par se nommer. Face à un Woodruff, un banquier ne
peut que s’incliner.
Son père le force alors à intégrer l’Emory College, une boîte à bac. Il y
­sèche les cours et paie des copains pour faire ses devoirs.
Nouveau renvoi. Furieux, Ernest Woodruff arrête les frais. «Il n’aura
plus un sou. Qu’il se trouve un job !», tempête-t-il. A 20 ans, Robert
devient donc pelleteur de sable dans une fonderie, puis assistant
comptable chez un fabricant d’extincteurs. Dans les deux cas, il est
viré.
Le troisième essai est le bon : au service achats de l’Atlantic Ice
& Coal Company, il décide de remplacer chevaux et charrettes par une
flotte de camions White Motors, ce qui lui vaut de prendre du galon. Il
s’inscrit alors au sélect Norias Shooting Club, où de jeunes dirigeants
parlent affaires en jouant au golf. Il y retrouve Walter White, patron
de White Motors, qui lui offre une place de commercial bien payée. Doté
d’un flair et d’une force de conviction remarquables, il fait alors des
merveilles et est promu directeur régional des ventes, puis, en 1920,
vice-président.
C’est alors que les associés du consortium qui a repris Coca-Cola (dont
l’activité est affectée par la récession de 1921-1922) cherchent un
chef. Pourquoi pas ce diable de Robert Wood­ruff ? Traînant les
pieds, le père finit par donner son feu vert et, à 34 ans, Robert se
retrouve P-DG. Il le restera plus de trente ans, transformant une
entreprise aux méthodes artisanales en modèle de gestion, et une petite
bouteille habillée de blanc et de rouge en star mondiale.
Dossiers de nuit. Mâchonnant son cigare, le nouveau boss s’impose
d’emblée par son magnétisme et impressionne ses collaborateurs. Ni
paroles superflues, ni tirades intellectuelles : l’homme avoue n’avoir
jamais terminé un livre et refuse de lire les notes de plus d’une page.
Les «bonjour monsieur Woodruff» l’agacent, car il doit y répondre. Du
temps perdu ! Ce bourru de nature déclare même : «Le monde appartient
aux mécontents.» Par contre, il déteste la solitude et, en cas
d’insomnie, il réveille ses collaborateurs la nuit pour discuter des
dossiers.
Dès la fin de la crise, Woodruff met en œuvre ses trois priorités
stratégiques : la distribution, la publicité et l’international. La
première passe par un maillage optimum du marché, grâce à des usines
d’embouteillage implantées dans les grandes villes et à un réseau de
détaillants fortement motivés. Des études statistiques pointues – du
jamais-vu ! – permettent de «suivre la foule» là où elle passe, d’en
mesurer la densité et d’adapter le réseau en conséquence. «Etre à portée
de main du désir», c’est le but affiché de l’entreprise.
La communication est aussi l’un des domaines où Wood­ruff s’est
le plus investi et a le plus innové. Il s’agit, affirme-t-il, de
privilégier le plaisir. Aux slogans agressifs succèdent des images
douces suggérant la détente. Pour séduire le public familial, des
brunettes sagement décolletées remplacent les pin-up provocantes à la
mode.
C’est le message «Faites une pause et rafraîchissez-vous» qu’il faut
désormais faire passer. Parallèlement, le boss lance des opérations de
sponsoring, la plus spectaculaire étant, en 1928, l’obtention par
Coca-Cola du titre de «boisson officielle des JO» d’Amsterdam.
Du Coca pour chaque GI. Troisième priorité, le développement à
l’étranger. Dès 1899, le Coca était vendu au Canada, à Hawaï et à Cuba. A
partir de 1926, avec la création de Coca-Cola Export
Corpora­tion, l’international prend une part significative dans
l’activité.
Il faut toutefois attendre la Seconde Guerre mondiale pour que sonne
l’heure de la mondialisation : Robert Woodruff s’engage alors à ce que
chaque GI, où qu’il soit dans le monde, puisse acheter sa bouteille de
Coca pour 5 cents. De quoi asseoir définitivement la marque sur les cinq
continents.
En 1954, Woodruff a 65 ans et doit démissionner, c’est la règle. Il
reste cependant administrateur de la firme jusqu’aux mois précédant sa
mort, en 1985. Juste avant le centenaire de Coca-Cola…
Hervé Jannic.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire