Les auteurs originaux de la présente publication sont Delphine Peras et Jérôme Dupuis, pour le site l'express, d'après une enquête réalisé courant 2009 par la rédaction du magazine "Lire".
Auteurs, romanciers et écrivains : combien gagnent-ils avec la vente de leurs livres
Les revenus des romanciers, des auteurs
et des écrivains s'apparentent à des montagnes russes : enquête au coeur
du système des droits d'auteur. Quelle est la part du prix du livre qui
tombe directement dans la poche de l'écrivain ? Auteurs, romanciers et
écrivains : combien gagnent-ils vraiment ? Comment négocient-ils avec
leurs éditeurs ? Quels sont les auteurs français les mieux payés ?
le
magazine "Lire" a enquêté sur un tabou bien français ...
Ce que gagnent les écrivains, les auteurs et les romanciers Francais !
C'est peu dire qu'il n'en va pas de même
dans le monde de l'édition. Là, tout est opaque, à commencer par les
chiffres réels de vente. Nous avons pu, une nouvelle fois, l'éprouver au
cours de cette enquête. Petit florilège de réactions recueillies par
Lire: "Je suis l'un des rares auteurs à succès à payer mes impôts en
France, se défend un romancier en vue. Houellebecq, Marc Levy,
Eric-Emmanuel Schmitt sont domiciliés à l'étranger. Si je vous parle, je
suis sûr d'avoir un contrôle fiscal !" Un éditeur : "Ne dites surtout
pas que ce romancier est mensualisé chez moi, cela fait petit
fonctionnaire..." Quand le refus n'est pas beaucoup plus spontané :
"L'argent des écrivains ? Ouh là !" Diagnostic d'un jeune éditeur qui
monte, agacé par cette omerta : "Le cinéma et la musique s'assument
comme industrie. L'édition, elle, se vit comme un pan de la culture,
avec un grand C. Dans ce monde-là, parler d'argent, c'est sale."
Parlons-en, justement d'Argent. Un livre sorti ces jours-ci en dit long
sur les rapports complexes qu'entretiennent nos écrivains avec l'argent.
Dans son volumineux C'est encore moi qui vous écris(Stock), Marie
Billetdoux livre quarante ans de correspondance avec sa famille, ses
amants, ses éditeurs. Jouant la transparence absolue, la romancière de
Mes nuits sont plus belles que vos jours, prix Renaudot 1985, va jusqu'à
révéler la date de la perte de sa virginité ("nuit du 21 au 22 décembre
1971") et publier ses échographies, photo de foetus comprise. Mais,
symptomatiquement, elle devient pudique dès qu'il s'agit de ses droits
d'auteur. On y apprend néanmoins que si elle a perçu en 1997 une
confortable avance de 325 000 francs, versée par Grasset pour un roman à
venir, elle n'avait gagné en tout et pour tout que 8 848 francs l'année
précédente. Et ses rentrées pour 2008 ont plafonné à 1 219 euros...
Auteurs, romanciers et écrivains : combien gagnent-ils avec la vente de leurs livres
On voit par là que les revenus des romanciers s'apparentent parfois aux montagnes russes. Quelques règles de base sont pourtant censées les réguler. Au coeur du système, les droits d'auteur. C'est la part du prix du livre qui tombe directement dans la poche de l'écrivain. En France, le contrat-type prévoit que l'auteur touche 8 % de droits jusqu'à 10 000 exemplaires vendus, 10 % entre 10 001 et 20 000, 12 % au-delà. Il existe des variantes, avec des répartitions 10/12/14 ou des seuils fixés à 5 000 et 10 000 exemplaires. Cela représente donc, pour un livre vendu 20 euros, entre 1,60 et 2,40 euros par exemplaire pour l'auteur. Pour les beaux livres et le poche, on est plus proche de 5 %. Précisons donc d'emblée que l'immense majorité des écrivains français a du mal à joindre les deux bouts.
On voit par là que les revenus des romanciers s'apparentent parfois aux montagnes russes. Quelques règles de base sont pourtant censées les réguler. Au coeur du système, les droits d'auteur. C'est la part du prix du livre qui tombe directement dans la poche de l'écrivain. En France, le contrat-type prévoit que l'auteur touche 8 % de droits jusqu'à 10 000 exemplaires vendus, 10 % entre 10 001 et 20 000, 12 % au-delà. Il existe des variantes, avec des répartitions 10/12/14 ou des seuils fixés à 5 000 et 10 000 exemplaires. Cela représente donc, pour un livre vendu 20 euros, entre 1,60 et 2,40 euros par exemplaire pour l'auteur. Pour les beaux livres et le poche, on est plus proche de 5 %. Précisons donc d'emblée que l'immense majorité des écrivains français a du mal à joindre les deux bouts.
Bien entendu, tout le jeu consiste à
faire monter ce barème : si vous avez eu un prix important (Goncourt,
Renaudot...), votre éditeur vous proposera sans doute de monter jusqu'à
14 ou 15 % (c'est ce que fit Paul Flamand, P.-D.G. du Seuil, pour Marie
Billetdoux, après son Interallié pour Prends garde à la douceur des
choses). Des stars comme Patrick Modiano ou Daniel Pennac flirtent avec
ces plafonds.
Mais il existe encore mieux : auréolé du
succès mondial de Lolita, Vladimir Nabokov percevait 17,5 % de droits
d'auteur dès le premier exemplaire,de la part de son éditeur américain
McGraw-Hill ! Louis-Ferdinand Céline a exigé 18 % de Gaston Gallimard,
en 1951. "18 p 100 pour moi sur chaque exemplaire, pas de ristourne,
sec, pas de salades, et en route ! [...] D'avance, en liquide, pas de
chèque !" insiste-t-il auprès de sa secrétaire. Et il a tout obtenu
(sauf les versements en liquide, évidemment...). Le vitupérant Céline a
ouvert une - petite - brèche.
Plus tard, Jean d'Ormesson ne fut-il pas
longtemps surnommé "Monsieur 18 %" dans la maison de la rue
Sébastien-Bottin ? Et, pour son roman Mascareigne (1977), Jean Dutourd,
qui en réclamait autant, obtint de Julliard ce que Le Sagittaire,
initialement pressenti, n'avait pas la ressource de lui accorder. La
"recordwoman" homologuée demeure Françoise Sagan qui, selon nos
informations, avait négocié 20 % de droits, à l'extrême fin de sa vie,
avec le Groupe de la Cité. Il est vrai que l'auteur de Bonjour
tristesseavait un train de vie assez dispendieux...
Certains éditeurs sont prêts à prendre
des risques fous au moment de fixer ces cruciaux pourcentages. En
désaccord avec son éditeur à propos de la renégociation de ses droits,
Daniel Pennac a proposé à Antoine Gallimard de jouer leur éventuelle
augmentation à pile ou face. La pièce s'est envolée et elle est retombée
du bon côté... pour l'éditeur ! Un pile ou face qui coûtera au très
fair-play Pennac une petite fortune : 1 % de droits d'auteur en plus sur
Chagrin d'école, vendu à un million d'exemplaires, par exemple, aurait
représenté près de 200 000 euros.
"A côté de ces contrats en or, Gallimard
propose parfois un taux fixe de 7 % de droits pour des premiers
romans", soupire un avocat. "Vous savez, certains auteurs seraient prêts
à publier gratuitement pour être édités dans la Collection Blanche",
objecte-t-on rue Sébastien-Bottin. Des pourcentages qui font bondir des
anciens de la vénérable maison, tel Marc-Edouard Nabe, qui préfère
désormais flirter avec les... 70 % de droits, en s'éditant lui-même.
La puissance d'un écrivain se mesure
aussi à un autre critère : le fameux "à-valoir", soit l'avance consentie
par un éditeur pour un livre au moment de la signature d'un contrat.
Une sorte de minimum garanti - le "MG", dans le jargon de
Saint-Germain-des-Prés - pour l'auteur, qui n'aura pas à le rembourser,
même en cas de mévente. La négociation de l'à-valoir tient donc autant
de la Bourse des valeurs, comme pour Hugo, que de la foire aux vanités.
Elle peut même devenir épique lorsqu'il s'agit de débaucher un auteur
vers une nouvelle maison d'édition.
Certains auteurs jouent littéralement
leur peau au moment de négocier ce sacro-saint à-valoir. Ainsi Pascal
Jardin, fort du succès colossal de son Nain jaune, a-t-il demandé à une
amie de le grimer, en lui poudrant les joues et le front, ce jour de
1980 où il devait signer son contrat pour La bête à bon dieuavec Henri
Flammarion, afin que celui-ci ne remarque pas son teint blafard de
malade. L'éditeur n'y a vu que du feu et offert une avance astronomique
de 800 000 francs - soit 320 000 euros de 2010... 1 "C'est important de
se faire verser un gros à-valoir, confie sous le sceau du secret un
romancier très pragmatique, car cela oblige l'éditeur à se battre pour
votre livre s'il veut rentrer dans ses frais..." Rares sont les auteurs
qui refusent par principe tout à-valoir, préférant attendre leurs droits
d'auteur. Anna Gavalda est de ceux-là...
Plus raisonnablement, aujourd'hui, en
France, cette avance va de 800 euros pour un auteur débutant à une
fourchette située entre 10 000 à 30 000 euros pour un romancier s'étant
fait un "petit nom". "Je peux monter jusqu'à 2 000 euros pour un premier
roman qui m'emballe et pas au-delà de 20 000 euros pour un auteur
reconnu", confirme l'éditrice Anne-Marie Métailié. Pour Les particules
élémentaires, Michel Houellebecq, qui n'était pas encore la star que
l'on connaît, avait touché une "modeste" avance de 140 000 francs de la
part de Flammarion, en 1998.
Mais il arrive que certains éditeurs, et
non des moindres, refusent tout bonnement d'en verser. Ainsi, on a
peine à le croire aujourd'hui, les éditions de Minuit n'ont jamais
offert la moindre avance à Marie NDiaye pour ses sept ouvrages publiés
en vingt ans sous son célèbre frontispice blanc étoilé ! Et, lorsque, au
mois de décembre 2004, la romancière osera demander une partie de ses
droits de l'année avec trois mois d'avance sur l'arrêt des comptes, qui
tombe traditionnellement en mars, le P.-D.G., Irène Lindon, lui lâchera
avec le chèque : "Allez, c'est un cadeau de Noël..." Vexée par ce qui
avait toutes les apparences d'une aumône, Marie NDiaye partira sous les
cieux plus cléments de Gallimard, où ses Trois femmes puissantes, prix
Goncourt 2009, ont dépassé les 500 000 exemplaires, selon les chiffres
de l'institut Edistat (qui nous servent de références pour ce dossier).
Nul doute que son prochain à-valoir devrait être confortable.
Certaines stars ont récemment fait
exploser les standards. Des maisons comme Flammarion, Plon et Robert
Laffont sont réputées pour leurs gros chèques. On murmure ainsi que
Michel Houellebecq et Bernard-Henri Lévy ont perçu chacun 300 000 euros
pour leur dialogue, Ennemis publics, sorti en 2008 chez Flammarion. Il
arrive néanmoins - heureusement... - que les éditeurs fassent de bonnes
affaires malgré des à-valoir faramineux. Ainsi Michel Houellebecq a-t-il
perçu 1,3 million d'euros d'avance pour La possibilité d'une île, un
cachet qui englobait la publication du roman par Fayard et son
adaptation au cinéma. "Pour le livre seul, son agent, François-Marie
Samuelson, demandait un million et 15 % de droits, indique Claude
Durand, alors P.-D.G. de Fayard. Dans la mesure où nous avions les
droits mondiaux, sauf pour l'Allemagne, cela nous a paru raisonnable."
Les ventes du livre (près de 270 000 exemplaires), auxquelles il faut
ajouter les reventes de droits dans une quarantaine de pays, les
éditions en club et la sortie en poche, ont couvert l'avance consentie
par l'éditeur. "Nous avons même pu lui verser un demi-million d'euros de
droits en plus", confie-t-on chez Fayard. Commentaire toujours très
cash de Houellebecq : "Je me rends compte que tous les bouleversements
qui ont pu arriver dans ma vie ne sont rien par rapport à celui-là :
avoir assez d'argent pour ne pas être obligé de gagner sa vie." 2
Mais on a vu encore plus risqué. "Prenez
le cas de l'Espagnol Carlos Ruiz Zafón, dont nous avions publié avec
succès L'ombre du vent, a raconté, en 2009, Olivier Nora, patron de
Grasset. Pour le livre suivant, j'ai pu monter jusqu'à un million
d'euros, mais pas au-delà, et c'est Robert Laffont qui l'a finalement
récupéré." 3 Pour 1,2 million d'euros ! (Relevons au passage que
l'épisode fut en grande partie à l'origine du rapprochement
Grasset-Fayard, l'an dernier, Olivier Nora pensant que, alliées, les
deux maisons seraient plus à même de suivre ce type d'enchères.) Zafón,
c'est sûr, a fait là une très bonne affaire. Mais Robert Laffont ?
A l'inverse, certains grands succès ont
été acquis pour des à-valoir dérisoires. "J'ai acheté les droits du
premier roman d'Arnaldur Indridason, La cité des Jarres, pour seulement 5
000 euros, se souvient son éditrice Anne-Marie Métailié. Un confrère
italien m'en avait parlé et je l'avais lu. "Un éditeur qui lit les
livres, moi j'y vais !" avait tranché Indridason. Et c'est moi qui ai
obtenu les droits, alors que je n'étais pas la mieux-disante." Depuis,
on le sait, la star des lettres islandaises trône en tête de tous les
classements des meilleures ventes... Autre "bonne affaire" célèbre : en
1967, Claude Durand, alors au Seuil, a acquis les droits de Cent ans de
solitude,de García Márquez, pour... 5 000 francs !
Paradoxalement, un à-valoir faible peut
aussi être profitable à l'auteur. "Quand j'ai publié Le champ de
personne, qui avait été refusé par Gallimard, Picouly m'a demandé un
à-valoir que je n'étais pas capable de lui verser, se souvient Raphaël
Sorin, alors éditeur chez Flammarion. Je lui ai proposé de baisser son
avance, mais d'augmenter ses droits de 1 %. Vu les centaines de milliers
d'exemplaires du livre vendus, le deal s'est révélé excellent pour
lui."
Quoi qu'il en soit, un auteur ne doit
jamais rembourser un à-valoir. Il est acquis. Sauf si l'auteur ne remet
jamais son manuscrit, évidemment. Encore certains se font-ils tirer
l'oreille avant d'obtempérer... Claude Durand dut mandater un avocat
pour réclamer le remboursement d'une avance à Jorge Semprun, ancien
ministre, juré Goncourt et longtemps l'un de ses amis proches : "Il ne
m'avait toujours pas remis le manuscrit qu'il nous devait, mais je le
voyais signer chez Grasset ou Gallimard, maisons où l'on pense beaucoup
au Goncourt. J'ai compris et lui ai demandé restitution de l'avance. Il
m'a proposé un recueil d'articles, ce que j'ai refusé. Cela s'est mal
passé, il a fini par faire un chèque. C'est l'histoire d'une amitié
déçue." Idem avec François Weyergans, connu dans le milieu pour ne pas
toujours honorer ses contrats. Dans une période de basses eaux, l'auteur
de Franz et Françoisavait signé pour un livre sur la danse avec Fayard.
Mais pas de manuscrit à l'horizon. Entre-temps, Weyergans publie chez
Léo Scheer, Grasset... "Lorsque nous lui avons demandé de rembourser son
avance, il s'est dit insolvable, poursuit Claude Durand. Nous lui avons
fait un procès et, son compte en banque étant approvisionné, il a dû
acquitter sa dette."
Aussi, plutôt que de se lancer dans ces
hasardeuses négociations d'avances, certains romanciers préfèrent-ils
être mensualisés. Ils peuvent ainsi écrire l'esprit en paix. Quant aux
éditeurs, ils s'assurent là d'indéfectibles fidélités. Stock utilise
beaucoup ce système - pour François Taillandier, par exemple, rémunéré
de "façon tout à fait convenable", selon son éditeur -, ou P.O.L avec
Jean Rolin. Albin Michel le pratique également - jadis avec Patrick
Besson, aujourd'hui avec Maxime Chattam ou Jean-Christophe Grangé
(l'auteur des Rivières pourpres émargerait à plus de 20 000 euros par
mois, ce qui en fait l'un des écrivains les mieux payés de France).
Marc-Edouard Nabe a longtemps touché 2 200 euros mensuels - et sa note
de téléphone mobile payée ! - de la part des éditions du Rocher. Et
Gabriel Matzneff perçoit toujours un petit chèque de Gallimard -
l'équivalent de 500 francs par mois...
D'autres, comme Renaud Camus, sont même
mensualisés par deux maisons : Fayard lui verse 3 000 euros par mois
pour sa série des Demeures de l'espritet son Journal annuel ; et P.O.L,
un peu moins pour ses romans et essais. Il est vrai que ces deux
"indemnités" ne sont pas de trop pour entretenir le toit du magnifique
château de Plieux (Gers), où il écrit... Au passage, décernons à Renaud
Camus la palme de la transparence au pays de l'omerta littéraire :
l'auteur de La campagne de Franceest allé jusqu'à communiquer, dans un
tome de son Journal, le code secret permettant d'accéder à son compte
bancaire via Internet, afin que chaque lecteur puisse le consulter !
Il est néanmoins encore des auteurs qui
tranchent par leurs exigences modestes. C'est le cas du philosophe
Michel Onfray qui, malgré les centaines de milliers d'exemplaires
vendus, n'a longtemps demandé que 2 000 euros par mois à Grasset. Tout
le reliquat dort sur un compte chez l'éditeur. Car il arrive - c'est
l'un des secrets les mieux préservés du milieu - que des éditeurs
servent de "banque" pour leurs auteurs. Cela vaut particulièrement pour
les auteurs de best-sellers, "assommés" par le fisc. Un accord tacite
avec leur éditeur leur permet de demander des sommes au coup par coup,
au gré de leurs besoins, prélevées sur leur "compte". Lionel Duroy,
romancier et "nègre" réputé, pratique de la sorte avec Fixot.
Cela évite aussi sans doute de dilapider
inconsidérément ses droits d'auteur, comme l'avait fait Yann Queffélec
après son Goncourt pour Les noces barbares(Gallimard) : outre un grand
voilier acheté au Salon nautique "sur un claquement de doigts" (!), il
avait signé un chèque de 50 000 francs à une - belle ? - inconnue... "Il
m'est arrivé de jouer les conseillers fiscaux pour des auteurs, s'amuse
l'éditeur Raphaël Sorin. Patrick Rambaud m'appelait au secours quand il
n'arrivait pas à payer son loyer. Je lui trouvais un travail de "nègre"
au pied levé... Lorsqu'il a décroché le Goncourt, les jurés lui ont dit
: "Achetez- vous vite un appartement !"" C'est exactement ce que vient
de faire Marie NDiaye à Berlin.
D'autres Goncourt sont plus
raisonnables, heureusement : "J'ai gagné environ 400 000 euros avec
Syngué sabour (P.O.L) la première année, mais j'ai été imposé à 55 %,
rapporte Atiq Rahimi, lauréat 2008. Cela n'a pas changé ma manière de
vivre, j'habite toujours à Montrouge avec ma femme et mes enfants, je
prends toujours le métro et je loue un studio à Montparnasse pour
travailler. J'ai la chance d'être né dans une famille aisée où je n'ai
jamais manqué de rien. Après le Goncourt, un éditeur a essayé de me
débaucher en me remettant un chèque en blanc ! Je l'ai refusé."
Mais les droits d'auteur ne sont pas
tout. Il y a aussi les clauses annexes - ces fameuses clauses écrites en
minuscule que les novices ne lisent jamais... - qu'éditeurs et auteurs
(avisés) tentent de faire pencher en leur faveur. Par exemple, les
éventuels droits d'adaptation au cinéma. Traditionnellement partagés à
50/50, il arrive qu'un auteur, surtout s'il a déjà été porté au grand
écran, obtienne une répartition plus favorable du type 60/40. Et puis,
il y a les cas extrêmes : "Simenon n'a jamais voulu céder ses droits
d'adaptation au cinéma à Gallimard, rappelle Raphaël Sorin. Il
s'enfermait dans le bureau de Gaston, sans avocat, et finissait toujours
par l'emporter."
Il en va de même pour les droits sur les
traductions à l'étranger : certains auteurs se réservent aussi
contractuellement l'intégralité des droits pour un pays étranger, où ils
sont bien introduits. C'est le cas de Vassilis Alexakis pour - on
l'aura deviné... - la Grèce, ou, longtemps, de Tahar Ben Jelloun pour
l'Italie. La romancière Eliette Abécassis, elle, n'accorde ses droits
étran-gers à son éditeur Albin Michel que pour la durée d'un an. Passé
ce délai, si aucun contrat n'a été signé avec un pays étranger, son
agent négocie directement pour son compte. Et ne par-lons pas des
éditions pirates qui fleurissent dans certains pays... Furieux de voir
que l'un de ses romans avait été diffusé illégalement en U.R.S.S.,
l'écrivain mexicain Paco Ignacio Taibo II a embauché deux "armoires à
glace" pour aller recouvrer son dû auprès de l'éditeur indélicat.
Effrayé, celui-ci lui a tendu une petite bourse en velours. Elle
contenait de l'ambre. Il y en avait tout de même pour 5 000 dollars...
Enfin, les plus médiatiques de nos auteurs peuvent jouir d'une "clause
de publicité" qui fixe par écrit un budget minimum, destiné à financer
des messages à la radio ou de l'affichage dans les gares. Cela peut
tourner autour de 30 000 euros. "C'est souvent un marché de dupes,
sourit un éditeur. On flatte l'auteur avec un gros budget aligné sur les
tarifs publicitaires officiels, mais, en fait, des gros annonceurs,
comme Fixot, négocient de considérables rabais avec les radios..."
Maintenant que nous connaissons les
subtilités des contrats d'édition, passons aux travaux pratiques. Soit
L'élégance du hérissonde Muriel Barbery, sorti en 2007, et vendu à 1 320
000 exemplaires, auxquels il convient d'ajouter 500 000 en Folio. Avec
des droits d'auteur de 12 %, la romancière a engrangé 3 350 000 euros,
uniquement en France. Avec ses Trois femmes puissantes, un demi-million
d'exemplaires écoulés à ce jour, Marie NDiaye a, elle, dépassé le
million d'euros de gains. Mais ce sont là des cas très particuliers. Un
romancier comme Patrick Modiano, lui, gagnera moins sur un seul livre,
mais jouera la régularité : vendu à 166 000 exemplaires en Collection
Blanche et 50 000 en Folio, son Café de la jeunesse perdue, sorti en
2007, lui a ainsi rapporté autour de 330 000 euros.
"Si vous évoquez l'argent des écrivains,
n'oubliez pas de parler aussi de celui des éditeurs, car c'est là,
vraiment, que se bâtissent les véritables fortunes", avertit un membre
du sérail préférant garder l'anonymat. Parmi "Les 500 premières fortunes
de France", d'après le palmarès établi par Challengesen 2009 : Antoine
Gallimard (224e), qui a su faire prospérer l'entreprise familiale,
Francis Esmenard (234e), qui surfe sur la martingale d'Albin Michel
(Nothomb, Werber, Grangé...), Jacques Glénat (317e), empereur de la
bande dessinée, et Hervé de La Martinière (500e), spécialisé dans le
beau livre (on se souvient de La France vue du ciel, de Yann
Arthus-Bertrand).
"Si l'argent versé par les éditeurs
reste encore largement tabou en France, cela tient sans doute au fait
qu'il s'agit historiquement de maisons familiales, analyse Claude
Durand. Leurs propriétaires préféraient que "leurs" auteurs ne sachent
pas exactement combien gagnait le voisin, pour ne pas encourager des
prétentions financières à la hausse. L'habitude est restée." Raphaël
Sorin va même plus loin : "Longtemps, les éditeurs minimisaient les
tirages aux yeux de leurs auteurs ou réimprimaient sans le leur dire. Il
y avait aussi le fameux "droit de passe", qui faisait que les écrivains
ne touchaient rien sur les premiers dix pour cent du tirage, au motif
que cela couvrait les exemplaires défraîchis, abîmés, envoyés à la
presse... Tout cela a tendance à disparaître. Les auteurs savent mieux
s'informer et se défendre, aujourd'hui."
"Les éditeurs ne cessent de se retrancher derrière les fameux comptes
d'exploitation, qui mentionnent les coûts d'un livre, pour ne pas verser
trop de droits d'auteur, complète un expert des arcanes de l'édition.
Mais ils oublient de dire qu'au-delà de 10 000 exemplaires vendus
l'à-valoir, les coûts fixes de maquette, la prospection chez les
libraires, éventuellement la traduction, sont amortis et que, dès lors,
un ouvrage de 250 pages revient aujourd'hui à un euro en fabrication.
Les bénéfices deviennent tout de suite exponentiels. Mais l'auteur, lui,
reste bloqué à ses 12 %..." C'est en vain que l'on chercherait le nom
d'un écrivain dans la liste des 500 premières fortunes françaises. Mais
ne désespérons pas : J.K. Rowling, la créatrice d'Harry Potter, dont la
fortune est estimée à près d'un milliard de dollars, a fait son entrée
parmi le Top Ten des femmes les plus riches du royaume d'Angleterre. A
quelques places devant la Reine...
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